Qu’est-ce qu’être humain ? A la demande d’un ami, j’ai relevé le défi de réfléchir à cette question car je viens de m’intéresser à ce que nous apportent les récentes découvertes à propos des (autres) animaux, grâce notamment à un imposant ouvrage collectif, Révolutions animales, comment les animaux sont devenus intelligents, publié fin 2016.
De prime abord, sans réfléchir, tout le monde sait ce que c’est qu’être humain et personne ne se trompe en reconnaissant, autour de lui ou bien plus loin, d’autres êtres humains. Et en même temps, on ne « sait » pas ce que c’est qu’être humain et on ne le saura peut-être jamais, tant il nous est difficile d’en donner une définition. Les frontières que nous avons tracées au fil du temps, entre nous, les humains, et les autres animaux disparaissent, les unes après les autres : outils, rire, langage, conscience de soi, sens moral, etc.
On sait aujourd’hui que nos « cousins » les primates savent bricoler, qu’ils sont capables de rire, même à un tour de magie ; qu’ils se reconnaissent dans le miroir… On découvre qu’ils nous ressemblent étonnamment. L’élaboration d’une culture, le langage symbolique, l’imagination d’une politique, les guerres fratricides… rien de cela ne leur est étranger ! Certains singes ont le sens de l’équité, ressentent l’injustice, expriment des sentiments, connaissent le deuil (comme les éléphants, les girafes, les dauphins, les chiens, les chats…). Ils font preuve d’empathie comme l’ont montré un grand nombre d’expériences. Citons celle des singes rhésus qui ont refusé pendant plusieurs jours de tirer sur une chaîne leur libérant de la nourriture car cette action envoyait une décharge électrique à un compagnon dont ils voyaient les convulsions. Ils ont préféré endurer la faim plutôt que d’assister/de contribuer à la souffrance d’un semblable.
Les animaux font preuve de solidarité et d’altruisme, même vis-à-vis d’animaux d’une autre espèce. Comme les humains, les (autres) animaux possèdent des « neurones-miroirs », ce qui indique que leurs comportements solidaires et altruistes ont une base génétique et physiologique, donc innée.
Nous découvrons aujourd’hui que parmi les grands singes et d’autres espèces animales, chaque individu a sa personnalité, son histoire, ses compétences propres… Alors que l’on considérait qu’un animal n’était régi que par son instinct et avait donc des comportements prédéterminés, on sait désormais que sa personnalité, son inventivité et sa subjectivité, entrent aussi en ligne de compte. Il existe des intelligences propres au règne animal, elles intègrent transmission, invention, conscience de soi, raisonnement et anticipation. Les capacités que nous découvrons chez les animaux ne concernent pas uniquement les singes, les grands mammifères et nos animaux domestiques. Certains corbeaux, certaines chouettes, fabriquent des outils et le perroquet comprend la notion mathématique du zéro ! Le champ des découvertes sur les animaux reste sans doute infini.
De son côté, la biologie nous explique aujourd’hui que les êtres vivants vivent en association très étroite les uns avec les autres. Chaque être humain héberge par exemple dans son estomac des milliards de bactéries. On ne pourrait s’en passer et ces bactéries ne pourraient vivre sans nous. Chaque être vivant est considéré comme membre d’une unité plus large et/ou comme hébergeant des entités plus petites. La notion d’autonomie perd de son sens : chacun est un peu à l’intérieur de l’autre. Un être humain serait un ensemble « enveloppe humaine + bactéries + tous les êtres qui la nourrissent, en prennent soin »…
A notre époque, nous intégrons de nouvelles connaissances, scientifiques et expérientielles, qui nous font prendre conscience de l’unité profonde et réelle du monde vivant. Ces nouvelles connaissances rejoignent d’ailleurs des connaissances très anciennes des peuples premiers, de certaines spiritualités, de courants philosophiques… et aussi les expériences corporelles et/ou spirituelles qu’un très grand nombre de personnes ont pu connaître ! Nous allons apprendre à vivre avec des approches complémentaires et apparemment contradictoires : « nous sommes tous Un (les frontières n’existent pas) » et « chacun est unique, différent des autres ». Nous allons apprendre à ne pas toujours partir de la démarche qui a fondé notre civilisation moderne, celle qui coupe, sépare, différencie ; nous allons apprendre à intégrer l’unité fondamentale du monde vivant.
Un être humain, c’est la vie exprimée dans l’une de ses innombrables formes, en relation avec les autres formes.
Aujourd’hui, j’ai tendance à considérer que ce qui distinguerait le plus les êtres humains des autres formes de vie, c’est notre capacité à nous raconter des histoires et à y croire plus que tout. La puissance de nos croyances est phénoménale. L’expérience que j’ai citée à propos des singes rhésus acceptant de s’affamer pour ne pas blesser d’autres singes évoque celles qu’ont menées, d’une part, le psycho-sociologue américain Stanley Milgram dans les années 60, d’autre part, d’autres scientifiques, simulant un jeu télévisé dans les années 90. Au cours de ces deux expériences, 80 % des personnes ont envoyé des charges électriques de plus en plus fortes à des individus qui leur étaient inconnus et dont ils voyaient les convulsions. Elles l’ont fait par simple obéissance à une autorité scientifique ou à un animateur de télévision qui leur disaient que tout était correct. Leur obéissance a été plus forte que leur sentiment d’empathie… Autre exemple frappant : un homme est retrouvé mort de froid un matin après avoir passé la nuit enfermé dans une chambre froide… alors que celle-ci n’était pas branchée.
Cette caractéristique particulière à l’espèce humaine nous donne une immense responsabilité, celle de choisir ce que nous croyons, ce que nous estimons vrai et juste… Ce n’est pas simple car la plupart de nos croyances profondes sont inconscientes, soit parce qu’elles remontent à l’enfance, soit parce que ce sont celles de la société dans laquelle nous vivons et que personne autour de nous ne les questionne… Pourtant, aujourd’hui il y a urgence à revisiter nos croyances : nous avons détruit et continuons de détruire notre Terre car nous sommes au vrai sens du terme en guerre contre elle, en guerre contre la nature. Comme le dit le philosophe américain Daniel Quinn, « nous croyons profondément que nous, les humains, appartenons à un ordre de l’existant qui est séparé du reste du monde vivant ». L’intégration de la connaissance de l’unité du monde vivant nous aidera à abandonner notre vision d’un monde de séparations, de luttes et de conquêtes. Elle nous aidera tous à passer à autre chose.