Avec une nouvelle réforme scolaire, pour le collège cette fois, notre société continue de faire semblant de vouloir régler les problèmes graves de son système scolaire à la dérive, alors qu’elle refuse de considérer les origines de ces problèmes et la part de responsabilité des décideurs successifs.
L’argument pour justifier la nouvelle réforme du collège c’est de dire que trop d’élèves sont laissés sur le côté dans l’enseignement actuel. C’est vrai, mais pourquoi ?
Une des raisons principales de l’ennui des jeunes au collèges, des résultats qui baissent et de la violence, ne concerne pas le collège lui-même mais le primaire. Trop d’élèves arrivent en 6eme sans bases solides en lecture, écriture et calcul, en étant déjà mis en situation d’échec et donc de souffrance. Imaginez les difficultés d’un enfant puis d’un jeune qui maitrise mal la lecture au départ, avec les répercussions que cela entraine dans tous les autres domaines : orthographe, grammaire, lecture des énoncés, des textes…
De nombreuses personnes ont mis en évidence l’inefficacité et le danger des méthodes actuelles d’apprentissage de la lecture, utilisées massivement depuis une trentaine d’années, méthodes dites « mixtes ». Ces lanceurs d’alertes viennent d’horizons différents : enseignants, orthophonistes, chercheurs, spécialistes du cerveau, sociologues… Une enquête statistique (présentée ici) conduite par un sociologue du CNRS, Jérôme Deauvieau, a récemment mis en évidence le principal facteur expliquant les performances en lecture des élèves à la fin du CP. C’est le manuel scolaire (et donc la méthode) ! Les élèves qui apprennent à lire avec un manuel de méthode classique dite syllabique (B-A-BA) ont des résultats bien supérieurs à ceux dont le manuel est basé sur une méthode « mixte » où tout est mélangé.
Curieusement, cette enquête est passée inaperçue des médias. Elle révèle aussi
1) que l’effet manuel est de loin supérieur à l’effet origine sociale ;
2) qu’un manuel de méthode classique est encore plus bénéfique pour les enfants de milieux sociaux défavorisés.
Pas de commentaire du côté du ministère et de ses inspecteurs d’académie qui continuent de mettre en avant l’origine sociale des élèves pour expliquer les différences d’apprentissage…
Beaucoup de parents d’ailleurs ne s’y trompent pas et apprennent eux-mêmes à lire à leurs enfants avec l’aide d’un manuel de méthode classique, en parallèle à l’enseignement défectueux reçu en classe. Il n’y a qu’à voir dans les librairies, les gondoles de manuels de lecture : on n’y trouve que des livres de méthode syllabique (à destination des parents). Au passage, les éditeurs s’y retrouvent : ils vendent souvent deux livres par enfant au lieu d’un : celui pour la classe et celui pour la maison.
Pourquoi ces méthodes mixtes inefficaces ont-elles autant la cote auprès des inspecteurs de l’éducation nationale ? Parce qu’elles sont modernes (depuis les années 70) et qu’elles sont bâties sur une théorie qui a le vent en poupe : « il faut que les enfants construisent eux-mêmes leurs savoirs« . Cette théorie est tout à fait intéressante car on retient mieux quand on est actif et participant. Mais elle est appliquée à tort et à travers. Construire ses savoirs, oui mais une fois qu’on nous a transmis de bons outils qui ont fait leur preuve. Est-ce qu’il viendrait à l’idée d’un menuisier de demander à son apprenti de commencer par concevoir et créer un outil qui pourrait couper une planche ? Apprendre à lire, à écrire, à compter, c’est hériter d’un bagage d’outils fabuleux qui ont fait leurs preuves sur des siècles. Une société qui ne parvient pas à transmettre correctement ce bagage commun à tous ses jeunes est en grand danger.